Intelligence artificielle : tous les emplois peuvent-ils être automatisés ?

Depuis quelques années, les pronostics catastrophistes sur l’avenir de l’emploi se multiplient. Outre les Mark Zuckerberg et autre Elon Musk, de prestigieux cabinets de conseil – dont McKinsey et PricewaterhouseCoopers ! – émettent régulièrement des mises en garde alarmantes. Mais qu’en est-il vraiment ?

 

Sensationnalisme de mauvais goût ou mise en garde pragmatique ? Une grande étude de McKinsey sur « l’avenir du travail » parue fin 2017 aura défrayé la chronique. Sans que la question de l’intelligence artificielle (IA) ne soit particulièrement mise en avant…

En 2013 déjà, une étude de l’Université d’Oxford affirmait que 47% des emplois américains présentaient un « haut risque » d’automatisation « d’ici une à deux décennies ».

La société PricewaterhouseCoopers n’allait pas tarder à confirmer ce sombre pronostic : d’après elle, 38% des emplois américains risquaient purement et simplement de disparaître « d’ici le milieu des années 2030 » !

« Ce qui va se passer, c’est que les robots seront capables de tout faire mieux que nous. Les robots seront capables de faire n’importe quoi, ils sauront vraiment tout faire. »  Dixit Elon Musk, qui annonce l’arrivée inéluctable du revenu universel…

 

Pour le fondateur de Facebook, « des dizaines de millions d’emplois » vont disparaître au cours des prochaines années. Raison pour laquelle il soutient, lui aussi, l’idée du revenu universel !

 

De la même manière, le cabinet d’audit Deloitte avait averti, dès 2016, que 35% des emplois britanniques présentaient un « fort risque d’automatisation »…

Et récemment encore, les consultants de McKinsey annonçaient pour leur part la suppression de l’équivalent de 1 à 1,2 millions de postes en Suisse d’ici 2030 – soit 20 à 25% du total des emplois du pays* ! Et il ne s’agissait-là que d’un « scénario médian qui pourrait bien se révéler conservateur »…

A en croire le prestigieux cabinet de conseil, le « potentiel d’automatisation » de nos économies serait en effet vertigineux : 48% pour l’Allemagne (20,5 millions d’emplois), 47% pour la Suisse (2 millions d’emplois), 46% pour les États-Unis (60,6 millions d’emplois), 43% pour la France (9,7 millions d’emplois)… A en croire McKinsey, l’automatisation pourrait ainsi permettre aux entreprises d’économiser chaque année pour des milliers de milliards de dollars en frais de personnel !

Et les consultants de chiffrer les gains vertigineux (p.9) qui pourraient être réalisés en coupant dans la masse salariale des pays les plus divers :

  • $2’700 milliards/an aux États-Unis
  • $1’700 milliards/an dans les ‘big Five’ européens (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Espagne)
  • $1’100 milliards/an au Japon
  • $1’100 milliards/an en Inde

Et ce, simplement avec les technologies déjà disponibles aujourd’hui

 

Le point d’interrogation semble être de trop…

 

Et le président-fondateur du Forum de Davos d’enfoncer le clou : « Les personnes qui effectuent aujourd’hui un travail administratif, par exemple dans le secteur bancaire, vont perdre leur emploi »…

 

Quand l’intelligence artificielle rencontre la blockchain: le secteur bancaire pourrait bientôt connaître une transformation radicale…

 

Une bonne occasion de rappeler que le terme « robotisation » ne se réfère pas uniquement à l’emploi industriel – même si celui-ci est évidemment fortement concerné…

Les assurances aussi…

 

Promesses et menaces de la « Quatrième Révolution industrielle »

De fait, le remplacement annoncé de dizaines de millions de travailleurs par l’IA promet d’être extrêmement rentable pour les grandes entreprises. C’est ce que soulignait en 2016 un rapport de la société Deloitte consacré à « l’avenir de l’automatisation » au Royaume-Uni :

« Des études conduites par la London School of Economics ont démontré […] qu’une société de télécoms qui avait automatisé 160 processus différents avait obtenu des retours sur investissement compris entre 650 à 800 pourcents.

Un autre exemple est celui d’une entreprise informatique qui investit fortement dans sa main d’œuvre digitale. Les ingénieurs virtuels d’IPSoft peuvent traiter près de 60% des incidents sans intervention humaine. »

 

Depuis 2014, IPSoft cumule les partenariats  stratégiques : avec Accenture, UBS, Credit Suisse, Shell, Amazon… Cette société discrète  à l’extrême (elle n’est pas même cotée en bourse !) commercialise notamment un « assistant digital » destiné à « faire le travail d[es] comptables et des employés de  centrales d’appels ».

 

En mai 2018, Google avait dévoilé un logiciel parlant qui pourrait rendre un certain nombre de métiers totalement obsolètes – dont celui de conseiller à la clientèle. Une bien mauvaise nouvelle pour nos classes moyennes…

 

Le risque d’un remplacement massif des emplois du secteur tertiaire par l’IA étant acté, se pose dès lors la question : les emplois de service ont-ils encore un avenir ?

Ce sera l’objet de notre prochaine publication…

 

Par Vincent Held, co-fondateur de HR4free et auteur du livre Après la crise’, dont est tiré ce sujet.

 

(Article publié le 30/07/2019 – Dernière révision : 08/08/2019)

 

*BONUS : la Suisse va-t-elle réellement créer « de 800’000 à 1 million de nouveaux emplois » d’ici 2030 ?

Dans son article annonçant la suppression de 1-1,2 millions d’emplois suisses d’ici 2030, la Neue Zürcher Zeitung avait relevé que le rapport de McKinsey Switzerland comportait également « une bonne nouvelle » pour les employés helvétiques. De fait, les consultants y affirmaient que :

« Il existe un potentiel de création de nouvelles activités [que l’on] estime à 400 000 nouveaux emplois, liés directement à la technologie elle-même (hardware/software) et à la mise en œuvre de solutions numériques au sein des entreprises. 400 000 […] emplois supplémentaires pourraient également être créés à mesure que l’automatisation et l’IA tirent la croissance du revenu réel, stimulent la consommation et augmentent la demande d’emplois nationaux, alimentant ainsi la croissance économique. » 

Nous relèverons avant tout que cette dernière affirmation, pudiquement qualifiée « d’optimiste » par la Neue Zürcher Zeitung, entre en contradiction directe avec une autre étude de McKinsey datée de 2017. Celle-ci indiquait en effet que le « potentiel d’automatisation » actuel en Suisse (2 millions d’emplois) permettrait de réaliser des économies sur la masse salariale nationale de l’ordre de $90 milliards par an !

Comment alors de telles coupes dans la masse salariale nationale pourraient-elles être compatibles avec l’idée d’une « croissance du revenu réel » des employés suisses grâce à l’automatisation ? Il y a là une incohérence pour le moins surprenante…

Quant aux 400’000 nouveaux emplois high-tech devant être créés d’ici 2030, l’auteur de l’étude admettait lui-même que le fait de réorienter les personnes destinées à perdre leur emploi dans les années à venir représenterait « une tâche herculéenne ». Et l’expert de préciser : « on n’arrivera pas à former une caissière pour en faire une spécialiste IT ».

On pourrait certainement en dire autant non seulement des employés de l’industrie dont l’étude explique (p.35) qu’ils sont les seconds les plus à risque de perdre leur emploi, mais également des employés de banque, assurance, etc., qui semblent destinés à s’orienter vers d’autres secteurs…

De quoi supposer que le chiffre avancé par McKinsey de 800’000 créations d’emploi en Suisse d’ici 2030 est effectivement extrêmement optimiste !