Outsourcing: risques et opportunités pour l’organisation – et pour l’économie locale

Face à la mondialisation des marchés et l’internationalisation de la concurrence, certaines entreprises sont conduites à pratiquer l’outsourcing afin de maintenir leur compétitivité. La réussite de cette démarche est liée à certaines conditions parmi lesquelles le facteur humain revêt une grande importance.

Par Liliane Held-Khawam, auteur du livre « Le Management Par le Coaching (MPC): le cadre à la recherche de ses repères »

L’outsourcing: un phénomène en développement

Avec la mondialisation des marchés, les entreprises se restructurent, afin de mieux se centrer sur leur(s) métier(s) de base – leur « core business » et leurs « core competencies », comme on le souligne généralement. Ces restructurations sont souvent guidées par le désir de réduire les coûts et d’alléger les structures, dans le but de développer la souplesse et surtout la compétitivité de l’entreprise. Le désir de restructuration est parfaitement légitime, dans la mesure où l’environnement présente une complexité accrue. La mondialisation des marchés implique une internationalisation des fournisseurs et des clients, une compétitivité impitoyable, une exigence accrue dans le rapport qualité/prix, etc. A ceci vient s’ajouter une durée de vie des produits qui devient toujours plus courte. L’entreprise doit trouver le moyen de se démarquer de la concurrence. Il y va de sa survie.

Dans ce contexte de simplification des structures et des activités, l’outsourcing a vu le jour et ne cesse de se développer. Mais qu’est-ce que l’outsourcing?

Le principe d’ »outsourcer » consiste à confier à l’extérieur de l’entreprise certaines activités qu’elle ne souhaite pas ou plus réaliser elle-même. L’outsourcing – sous forme de sous-traitance – existe depuis longtemps. Mais la nouveauté principale de ces dernières années est liée au fait que l’outsourcing ne concerne plus seulement des activités de production (p.ex. usinage) ou annexes (p.ex. entretien des bâtiments, cafétéria…), mais aussi des fonctions plus stratégiques telles que l’informatique, la gestion du personnel, le marketing, etc. En « outsourçant », l’entreprise se sépare de certaines activités, soit en les confiant simplement à une entreprise du marché qu’elle considère comme plus performante, soit en autonomisant l’activité concernée.

Un fort impact socio-économique

La décision d’outsourcing semble être à première vue une décision de nature financière. En réalité, elle a une incidence beaucoup plus vaste sur le plan interne (personnel, chaîne de compétences…) et sur le plan externe (image, région, clients…). Cette incidence dépasse donc l’entreprise concernée et le moment présent et va se projeter dans l’avenir socio-économique.

Le succès ne peut alors être mesuré sur le seul plan financier interne. Ceci est d’autant plus vrai si l’entreprise est de taille importante et qu’elle peut engendrer des effets de mode auprès d’autres entreprises.

Des implications négatives peuvent surgir à l’intérieur de l’entreprise: rupture de la paix du travail, dégradation du climat social, inertie du management, passivité des collaborateurs, sentiment d’insécurité…

Une ou plusieurs actions d’outsourcing peuvent aussi provoquer un effet négatif démultiplié sur le marché économique (délocalisation d’activités) et sur le marché du travail (impact sur le chômage). Dès lors, les autorités politiques et économiques devraient s’intéresser à ce phénomène afin de préparer et d’accompagner le processus notamment en matière de formation.

Les effets pervers potentiels de l’outsourcing

Comme nous l’avons vu, l’outsourcing n’est pas une opération ponctuelle anodine. Elle peut cacher des pièges à différents niveaux. Ces derniers peuvent être d’ordre interne (humain, organisationnel…) ou externe (image de l’entreprise, marché de l’emploi…):

I. Les risques de l’outsourcing sur l’environnement (la vie externe) de l’entreprise

Une démarche d’outsourcing peut avoir des répercussions fort dommageables pour une région. Par conséquent, l’opération nuira fortement à l’image de marque de l’entreprise-mère (celle qui décide d’outsourcer). Pour une région économique peu développée, la fermeture ou la délocalisation d’un site industriel peut se révéler désastreuse.

Si certains groupes doivent outsourcer pour des raisons de mondialisation des marchés, leurs politiques peuvent créer des phénomènes de mode auprès d’autres entreprises. Celles-ci pourraient agir dans le même sens, mais de manière arbitraire et non justifiée. En prenant de l’ampleur, l’outsourcing peut avoir un impact très négatif sur l’emploi et sur l’économie d’une région, voire d’un pays.

II. Les risques de l’outsourcing pour la vie interne de l’entreprise

Sur le plan interne, l’entreprise peut se fragiliser en sous-traitant. On peut aisément imaginer le cas de besoins de production accrus avec une incapacité du sous-traitant à répondre à la demande. L’entreprise-mère n’a plus forcément le pouvoir de redéfinir les priorités de production du sous-traitant. Des retards de production peuvent en découler. La chaîne de production de l’entreprise-mère sera aussi retardée.

Par ailleurs, l’entreprise peut subir une perte des compétences et de savoir-faire qui pourrait nuire à son futur – en sous-traitant la production, par exemple. Les compétences de l’entreprise pourraient être réduites à terme.

De plus, la qualité des prestations fournies n’est pas toujours aussi bonne après l’outsourcing qu’avant, et l’adaptation du sous-traitant aux besoins futurs de l’entreprise n’est pas assurée.

Si l’outsourcing est mal perçu par les collaborateurs, il peut en résulter un sentiment d’insécurité, de peur et un climat social négatif. Rappelons que la peur constitue l’une des causes principales de la démotivation et de la démobilisation des collaborateurs dans une entreprise. (Lire à ce sujet: « Management et santé: les conséquences des restructurations sur la santé de l’organisation »).

III. Les risques liés à la création d’une nouvelle entité

Dans le cas où l’outsourcing déboucherait sur la création d’une nouvelle entreprise, de multiples pièges guettent celle-ci. Nous avons observé, entre autres, qu’elle pouvait manquer de compétences dans les domaines du marketing et de la commercialisation. Ces compétences sont parfois sous-estimées dans la mesure où l’entreprise-mère garantit au départ un chiffre d’affaires important.

Un autre problème délicat est la sélection du patron de l’entreprise créée. Il est important de souligner le fait que le responsable du service concerné (p.ex. le chef comptable, le responsable ressources humaines, le responsable des ventes…) n’a pas forcément le profil d’un patron-entrepreneur d’une PME.

IV. Les risques liés aux collaborateurs concernés par l’opération d’outsourcing

Le dernier risque qu’on soulèvera ici concerne les collaborateurs « outsourcés ». Que l’outsourcing débouche sur une création d’entreprise, sur une vente, sur une délocalisation ou sur des licenciements, les collaborateurs outsourcés auront à fournir un gros effort d’adaptation à une situation nouvelle. Dans tous les cas, ils devront s’intégrer à une culture différente et s’adapter à une nouvelle organisation du travail. L’évolution de leur carrière en est directement touchée.

Opportunités liées à l’outsourcing

Nous avons observé que de nombreux cas d’outsourcing ont réussi, générant des effets positifs à court et à long terme. Ces effets concernent les milieux intérieur et extérieur de l’entreprise. Nous relèverons ici quelques-uns de ces effets:

I. Incidences positives sur la vie interne de l’entreprise-mère
  • Au niveau organisationnel: Les avantages organisationnels sont nombreux. Un atout important et facile à évaluer est l’impact financier. L’outsourcing permet d’alléger les coûts fixes internes, ainsi que de prévoir et maîtriser les coûts liés à l’activité. Les coûts deviennent variables et adaptés à la demande de l’entreprise-mère.

L’outsourcing permet à des organisations de taille importante d’assouplir et alléger leurs structures. Par conséquent, l’entreprise peut se concentrer sur son « core business » et accroître sa compétitivité.

Dans le cas d’une croissance rapide, l’entreprise peut freiner les effets pervers liés au développement de sa structure grâce à l’outsourcing de certaines activités.

Enfin, on peut mieux maîtriser, pour les fonctions de support outsourcées, les critères de compétences, de qualité et de délais, puisqu’à tout moment on peut faire jouer la concurrence.

  • Au niveau humain: Sur le plan humain, les opportunités sont également conséquentes. L’engagement, la motivation et les performances des collaborateurs deviennent un objectif primordial de la Direction.

Par la concentration sur le « core business », on espère développer les compétences et les performances des collaborateurs en place. La politique salariale est alors revue pour aller dans les sens de la reconnaissance et de la valorisation des compétences et des performances des collaborateurs.

Ces derniers pourraient bénéficier de moyens plus importants tant sur le plan professionnel que sur celui de la formation et du développement personnel.

Tout ceci va contribuer au développement de la compétitivité de l’entreprise, ce qui peut accroître objectivement la sécurité de l’emploi et la perception que les collaborateurs en ont. Dans cet environnement, le rôle du collaborateur change. Il peut faire preuve d’autonomie et d’initiative. Ainsi, on développe le sens des responsabilités individuelles et collectives. Le client en sera alors le principal bénéficiaire.

II. Effets positifs sur l’environnement de l’entreprise: la création de nouvelles entités

L’outsourcing bien géré – donc tenant compte des risques potentiels – peut donner naissance à de nouvelles entités organisationnelles. Ces entités sont soit des filiales, soit des entreprises autonomes pouvant appartenir à leurs cadres. Cette démarche est génératrice de PME, ce qui est fort sain pour le dynamisme économique et pour le marché du travail.

Ces nouvelles organisations à taille humaine offrent des avantages évidents. Grâce à leur taille réduite et à leurs compétences pointues (on peut parler de « niches »), il leur sera plus facile d’être proches de leurs clients et des besoins du marché, donc d’anticiper les problèmes et de s’adapter aux changements. Elles ont généralement des compétences bien particulières, voire spécialisées.

Cette concentration sur un ou des produits limités peut les rendre très compétitifs, d’autant plus que les collaborateurs peuvent vivre dans un tel contexte l’autonomie, la polyvalence et la créativité.

Il est aussi aisé dans cette situation d’évaluer les réelles compétences et performances des cadres et donc d’appliquer une politique de rémunération au mérite.

De plus, ces entreprises arrivent sur le marché avec un avantage différentiel par rapport à la concurrence, puisqu’elles ont habituellement le soutien de l’entreprise-mère et l’assurance d’avoir tout de suite un chiffre d’affaires important. Elles peuvent donc assez vite prendre quelques risques pour tenter un marketing compétitif au niveau national, voire international. Les perspectives de développement peuvent dès lors être réelles et importantes.

Donc, si les collaborateurs ont le profil qui correspond à ces nouvelles exigences, on pourra assister à une réelle dynamique économique et humaine génératrice de performances économiques et d’emploi.

Ces opportunités ne se manifesteront cependant qu’à certaines conditions…

Les conditions de succès de l’outsourcing

Les conditions de succès sont multiples et complexes. Elles touchent différents partenaires sociaux et économiques et elles exigent certaines règles du jeu dans la gestion du processus à l’intérieur de l’entreprise-mère.

Les mesures à prendre doivent contribuer à la construction et l’intégration de l’entreprise, en évitant tout risque de sentiment de morcellement ou de déstructuration de l’entité.

Il est important de relever que les individus peuvent aussi être déstabilisés par ce que vit une autre entreprise que la leur. Ils sont actuellement touchés par la crise économique et leur confiance dans les décideurs économiques et politiques est réduite. Il ne s’agit pas ici d’évaluer le bien-fondé de ce genre de sentiments, mais de travailler dans le sens de l’identification du collaborateur à son entreprise.

Essayons d’évaluer quelques-unes de ces conditions de succès inhérentes à l’entreprise-mère et à sa gestion du processus d’outsourcing. Par ailleurs, nous avons vu que ce phénomène d’outsourcing concernait aussi l’environnement de l’entreprise. Dès lors, il est important de voir comment l’environnement peut se préparer à faire face à cette évolution du marché.

Conditions de succès au niveau des acteurs concernés
I. Au niveau de l’entreprise-mère elle-même (origine de l’outsourcing)

L’entreprise-mère doit évaluer sérieusement les opportunités et les pièges d’une opération d’outsourcing. Le raisonnement doit être global (portant sur la vie intérieure et extérieure de l’entreprise) et comprendre une évaluation projective – par rapport au futur de l’entreprise.

Les dirigeants doivent s’inquiéter de l’évolution de leur métier et des conséquences de la décision d’outsourcing sur l’évolution de la chaîne des compétencesLa seule dimension financière se révèle clairement insuffisante.

Lorsqu’une décision d’outsourcing a été prise, il est impératif d’informer de manière systématique l’ensemble des collaborateurs sur le pourquoi (le fond) et le comment (la forme) de l’opération. La transparence est une clé du succès dans une période de changement. Rien ne déstabilise en effet plus les collaborateurs et par conséquent l’entreprise que les rumeurs et les spéculations. Aux dirigeants d’anticiper ces phénomènes et de les empêcher de se développer.

On a observé que la communication seule était insuffisante pour casser le sentiment d’insécurité des collaborateurs. Il est très important qu’elle véhicule un projet et que des actions concrètes permettent d’agir dans le sens de la création d’une nouvelle identité et donc du sentiment d’appartenance des collaborateurs.

La Direction gagne ainsi à prendre des décisions concernant le présent de l’entreprise: une nouvelle politique de rémunération peut être mise en œuvre à ce moment-là; un investissement peut être réalisé pour renforcer les moyens de production gardés; un programme de formation adapté peut être introduit; etc.

Bref, l’entreprise-mère doit travailler à recréer son unité et l’esprit de son entreprise pour mobiliser et orienter le potentiel humain restant autour d’un projet concret.

II. Au niveau des activités vendues (outsourcing sous forme de vente)

Le choix de l’acquéreur sera important, car un réel risque existe de rationaliser ou de délocaliser les activités après avoir repris le marché en question.

Quant aux collaborateurs concernés, la Direction de l’entreprise-mère gagnerait à les informer le plus vite possible. Eux-mêmes auront très vite à dépasser leurs émotions et à s’intéresser à leur intégration dans la nouvelle organisation.

III. Au niveau des activités supprimées (outsourcing signifiant la suppression d’emplois)

L’entreprise-mère aura à gérer un processus de licenciements économiques classique (avec, dans certains cas, la création d’antennes-emploi). Dans certaines situations, l’implication des partenaires sociaux, économiques et politiques pourrait contribuer à limiter l’impact socio-économique de la décision et à préserver l’image de marque de l’entreprise-mère.

IV. Au niveau de l’entreprise créée

Les premières années vont être déterminantes pour la survie et le développement de la nouvelle entité. Les autorités peuvent aussi grandement contribuer à leur succès par une politique de soutien active.

La nouvelle entité aura très vite à réfléchir en termes de stratégie, d’identité, de métier, de marchés et de compétences. Les anciens collaborateurs ne savent peut-être pas faire ce genre de travail. Le choix du management va se révéler déterminant pour assurer avec succès la transition.

Une difficulté de taille que le nouveau management va rencontrer est la résistance au changement d’une plus ou moins grande partie des collaborateurs. La question qui se posera est la suivante: comment faire pour changer en peu de temps le style de fonctionnement de collaborateurs habitués à une grande organisation?

On constate donc que dans le processus de mondialisation des marchés, et plus spécialement dans l’outsourcing, le facteur humain est fortement touché. Il doit faire preuve d’adaptation à ces changements.

Condition de succès au niveau de la population active: développement des compétences professionnelles et personnelles

La population active est appelée à s’adapter aux changements résultant de la mondialisation des marchés et des mutations profondes de l’organisation du travail. Pour ce faire, le développement des compétences professionnelles et personnelles de la population constitue un axe important de succès.

Le but de ce développement est de lutter contre l’inertie et de rendre l’individu acteur du changement. Pour cela, il doit faire preuve d’une réelle ouverture à l’innovation et à la mobilité – professionnelle, intellectuelle et géographique.

De plus, le marché a actuellement besoin de personnel ayant un esprit d’initiative accru et une capacité à prendre des risques. Ce sont là des critères moteurs par excellence de l’économie.

Cet axe de compétences concerne non seulement l’entreprise (à travers ses programmes de formation et développement), mais aussi les lieux de formation scolaire et professionnelle. Là aussi les autorités politico-économiques sont des partenaires indispensables pour accompagner la population dans les changements structurels de la société.

Conclusion

La mondialisation des marchés s’intensifie et a des conséquences concrètes sur les structures économiques. Ce processus est accompagné d’opérations d’outsourcing, qui sont l’un des corrolaires de ce phénomène. Cette tendance est une réalité inévitable et notre objectif n’est pas de la remettre en question.

Nous avons vue que ce genre d’opérations présente des risques réels. A côté des risques de fragilisation des compétences techniques de l’entreprise-mère – avec dépendance accrue de sous-traitants – la sous-estimation des conséquences psychologiques sur le facteur humain constitue le plus grand piège.

Par ailleurs, nous avons vue que de très belles opportunités pouvaient naître à l’issue de l’outsourcing, telle que la création de PME, l’accroissement de la compétitivité de l’entreprise-mère, le développement des compétences de l’entreprise, sa rapidité de réaction plus grande…

Pour bénéficier des opportunités et éviter les pièges, quelques conditions de succès – qui s’ajoutent à l’indispensable analyse économique des avantages de l’outsourcing et de la concentration sur le « core business » – méritent d’être rappelées:

  • compte tenu de l’importance du facteur humain, il est souhaitable que les collaborateurs deviennent des partenaires de l’opération, partageant les préoccupations de la Direction. Ils peuvent notamment grandement aider à mettre en place le plan d’action de l’outsourcing et sa communication. Une grande transparence dans la démarche, l’information et le partage d’une vision sont des concepts qui ont fait leur preuve à ce niveau et contribuent à valoriser la responsabilité individuelle et collective des collaborateurs.
  • l’outsourcing est générateur de PME créatrices potentielles d’emplois, mais aussi de créneaux nouveaux. Grâce à leur taille et à leur compétitivité potentielle, ces PME sont l’espoir de l’économie de demain. L’entreprise-mère pourrait participer à la mise en place d’un management compétent et performant, mais les partenaires politico-économiques pourraient aussi leur apporter un soutien efficace, sans pour autant assurer une prise en charge. On peut pour cela imaginer un allègement fiscal, une simplification des procédures administratives, ou du conseil pour le développement international.
  • une dynamique de développement permanent des compétences de la population active mériterait d’être mise sur pied en collaboration étroite entre les entreprises et les autorités politico-économiques. Ceci permettrait d’anticiper les besoins du marché du travail et de répondre plus facilement aux mutations des structures économiques.

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