Les conséquences des réorganisations et restructurations sur la santé des cadres

Si le monde professionnel a fait une place incontestée à la médecine du travail, la santé émotionnelle, notamment des cadres, demeure tabou. Pourtant, ce thème devient de plus en plus préoccupant et a des conséquences néfastes tant au niveau du bien-être des individus que du fonctionnement des organisations.

Par Liliane Held-Khawam, auteur du livre « Le Management Par le Coaching (MPC): le cadre à la recherche de ses repères »

En effet, selon nos observations, le nombre de cadres fatigués, voir épuisés, ne cesse de croître. Leurs malaises ont des répercussions directes sur la qualité de leur management et leur bien-être personnel. Ces personnes perdent leur vision d’ensemble, deviennent réactives et courent à l’effondrement personnel tôt ou tard.

Cette tendance à l’épuisement, observée depuis quelques années, n’est pas une fatalité. Elle est potentiellement réversible. Pour ce faire, il est utile d’en étudier les causes et les moyens de les endiguer.

Les causes de la fragilisation émotionnelle en entreprise

Ces causes se répartissent sur 3 niveaux:

  1. le niveau socio-économique
  2. le niveau organisationnel
  3. le niveau personnel

Niveau socio-économique

Les organisations sont prises aujourd’hui dans un contexte de maximisation des parts de marché et de la marge bénéficiaire.

On demande toujours plus de présence, de compétence, de polyvalence, d’adaptation en offrant toujours moins de sécurité, de stabilité, de structure, de clarté… Ce mélange d’ingrédients détonnants finit par devenir indigeste.

Tout le monde comprend que la globalisation est pour le moment un processus inéluctable. C’est un système qui est devenu aujourd’hui autonome et les plus grands patrons actuels ne font, en réalité, que s’adapter.

Ce mouvement s’est fortement accéléré et le temps d’adaptation au changement est de plus en plus court. Du coup, la visibilité à terme échappe aux responsables ainsi que la stabilité et la clarté des structures et des rôles des uns et des autres.

La temporalité étant devenue très courte, les responsables d’une organisation ont tendance à s’attacher à des résultats à court terme. Ils se concentrent, principalement sur deux axes:

I. Augmenter le plus rapidement possible sa part de marché dans le monde

Pour se faire et comme l’organisation n’a pas le temps de développer cet axe de l’intérieur, elle va le faire à travers un système de fusions, de rachats, de ventes, de partenariats avec des résultats plus ou moins heureux.

Le manque de temps réduit la qualité de l’intégration et augmente le stress (avec les malaises) chez les collaborateurs. On voit cohabiter des équipes de collaborateurs qui ont des cultures totalement différentes et des rapports de force parfois malsains s’installent.

Il est important de relever que cette croissance par absorption ne fait plus aujourd’hui l’unanimité dans les milieux de l’économie.

II. Augmenter la marge bénéficiaire le plus vite possible

L’actionnaire veut lui aussi des résultats à court terme. Le marché boursier est impitoyable. Les dirigeants d’une entreprise sont condamnés à maximiser leur bénéfice pour satisfaire des financiers très demandeurs. Dès lors, le calcul est simple. L’entreprise doit maximiser ses rentrées et minimiser ses dépenses. Tous les collaborateurs seront sollicités pour réaliser ce résultat dans un climat d’insécurité grandissant.

On en arrive à cette situation étonnante connue de tout le monde. Dès qu’une entreprise licencie, sa valeur boursière augmente.

Les cadres se retrouvent ainsi au centre des contradictions et de tensions importantes avec des risques croissants de rupture personnelle.

Niveau organisationnel

Les réorganisations et restructurations dans une temporalité courte provoquent une déstabilisation à l’intérieur de l’organisation. Elles vont avoir un impacte direct sur le bien-être du cadre.

En fait, un nombre toujours croissant de cadres a un sentiment d’impuissance face à leurs objectifs professionnels. En effet, un des objectifs de base du cadre est d’adhérer et de participer à la concrétisation de la stratégie de l’entreprise. C’est en effet à ce niveau de fond que repose le nœud. Voici quelques raisons qui peuvent expliquer cela.

  • Absence de stratégie: on serait étonné de voir le nombre d’entreprises qui manquent carrément de stratégie. Elles se sont complètement focalisées sur les résultats à court terme et sur la concurrence. Elles sont devenues très réactives, prenant des décisions en fonction des opportunités et des dangers.

Ce genre de comportement réduit encore plus le temps à disposition pour réagir, la visibilité et pour finir la cohérence. Ordre et contrordre s’enchaînent laissant le cadre désemparé.

  • Stratégie existante mais insuffisamment communiquée, voire comprise: il s’agit là d’un problème profond de communication. Dès lors, le cadre peut difficilement fonctionner comme relais. La probabilité que sa « performance » diminue et que les malaises augmentent est plus forte.
  • Changement culturel: certains responsables ne se rendent pas suffisamment compte de l’impact d’une restructuration sur la culture de l’entreprise. La culture d’entreprise (définition) n’est pas la même si on a une structure pyramidale classique ou en « process ».

Ce n’est pas parce qu’on a changé la structure que le changement culturel va se faire automatiquement. La temporalité du changement culturel est beaucoup plus longue que le changement structurel.

Dans des cas de fusion ou de rachat d’entreprises, on peut assister à des confrontations culturelles au sein des secteurs pouvant aller parfois jusqu’au harcèlement de certaines personnes. Le cadre peut être complètement dépassé par ces problèmes culturels méconnus et peu absorbés par la Direction elle-même.

  • Définition insuffisante des rôles de chacun: la définition du rôle du cadre est déterminante pour lui permettre l’expression de ses capacités. Une définition insuffisante ou une définition changeante est un facteur de perturbation et de stress réel.

Ce rôle peut se décliner en deux parties: un rôle technique avec des objectifs quantifiables et un rôle humain avec des responsabilités quantitatives. Le rôle quantitatif est très souvent clairement établi. Il sert de support à des indicateurs de performance de plus en plus pointus.

Ces indicateurs seront utilisés selon les entreprises à établir la rémunération. Si on met en perspective ce niveau avec un besoin de rentabilité drastique, on peut supposer qu’on arrive dans un certain cas à mettre en échec le cadre dès la fixation des objectifs. En fait, la demande de l’entreprise en résultats financiers peut être telle que la fixation d’objectifs devient irréaliste. Elle peut avoir un impacte de profonde démotivation, voire d’impuissance sur les collaborateurs.

Le rôle humain qui définit les responsabilités personnelles ou collectives est fréquemment incomplet ou absent. A ce niveau, l’entreprise définit la position du cadre dans un flux humain global (illustration). Elle définit les responsabilités et les attentes en termes de comportements et de compétences tant pour le cadre lui-même que pour l’équipe qu’il gère.

Niveau personnel

Deux catégories de facteurs participent à la déstabilisation de l’individu:

  1. Des facteurs exogènes ou externes à l’individu
  2. Des facteurs endogènes ou internes à l’individu

Les facteurs exogènes

  • La perte des repères professionnels: il y a quelques années encore, le cadre se mariait presque avec son entreprise. Un pourcentage conséquent des cadres avaient « grandi » au sein de l’entreprise. Certains y étaient de père en fils. L’identification au nom de l’organisation (surtout pour les grandes) était totale. L’horizon était dégagé, les structures claires, les imprévus très faibles.

La confiance dans les responsables des organisations était acquise même si leur dynamisme laissait parfois à désirer. Il y avait probablement moins de stratégies clairement élaborées qu’aujourd’hui, mais ça « ronronnait ». Dans les nouvelles formes d’organisation matérielles et/ou process, l’individu n’est plus toujours au clair quant à sa relation hiérarchique. Brusquement, le ciel se couvre et l’horizon se voile. Le choc est brutal.

  • La reconnaissance des critères de succès: celle-ci était fortement liée à la fidélité, la constance, l’exécution des ordres… Les promotions et la gratification valorisaient avant tout l’ancienneté. Ces critères sont aujourd’hui balayés, la reconnaissance (promotion et rémunération) se fait sur d’autres bases.

On cherche de jeunes cadres dynamiques, un tantinet contestataires, polyvalents, autonomes, « hyper adaptables », capables d’évoluer avec l’entreprise. Le profil du cadre en succès a radicalement changé et nos cadres de plus de 50 ans peuvent ressentir une inquiétude quant à leur avenir.

  • La réduction drastique de la durée de vie dans l’entreprise: Là où on passait facilement 20 ans hier, on se retrouve aujourd’hui engagé pour réaliser un projet et peut être à temps partiel. Cette forme de travail a de fortes chances de s’intensifier à l’avenir.

Et si cette approche convient à des personnalités indépendantes (par exemple), elle peut déstabiliser bon nombre de citoyens à la recherche d’une sécurité dans leur emploi. Ces personnes n’ont plus de visibilité sur leur vie professionnelle.

Les facteurs relevés ci-dessus ne sont certes pas exhaustifs, mais représentent quelque peu certaines pressions ressenties aujourd’hui.

Les facteurs endogènes

Ces facteurs sont liés à la dimension psycho-émotionnelles. La demande de maximisation des résultats et de restructuration peuvent engendrer les phénomènes suivants:

  • La peur: ce sentiment est incroyablement répandu aujourd’hui. Le spectre du licenciement peut même effrayer les collaborateurs en succès: « Ca n’arrive pas qu’aux autres ». S’ajoute à cela, la peur de décevoir.
  • La perte de confiance en soi: est une conséquence naturelle de la peur. Elle est aussi révélée par la nouvelle forme d’organisation du travail. On demande aux cadres de s’exprimer plus en public, de prendre plus de risques, etc.
  • La perte de confiance dans sa hiérarchie (voire dans l’entreprise elle-même!).
  • La culpabilité: le cadre peut avoir le sentiment qu’il ne fait pas assez, qu’il n’est pas à la hauteur ou qu’il ne s’occupe pas assez bien de ses gens.
  • La perte de maîtrise: la responsabilité de l’évolution technologique associée à une modification fréquente de la demande de la hiérarchie  ont un impact sur la stabilité de la gestion de projets. Ces changements fréquents associés à une exigence accrue de l’employeur engendrent un sentiment de perte de la maîtrise des événements.
  • La dissociation entre le dialogue extérieur et le dialogue intérieur: on essaie de faire plaisir et de satisfaire l’environnement alors que les pensées négatives envahissent l’esprit.
Les conséquences de la déstabilisation des cadres sur leur vie professionnelle

Les cadres déstabilisés par les changements accélérés réagissent de différentes manières tant sur la plan professionnel que personnel. Bien que ces conséquences soient très personnelles, elles sont toutes des conséquences d’un stress excessif et d’une difficulté à construire dans un contexte de pressions.

On voit ainsi se développer des dépendances de toutes sortes (travail, alcool, tabac, drogues, médicaments…) une perte de concentration, des dépressions nerveuses (allant jusqu’au burn-out), des difficultés dans la vie privée

Les conséquences professionnelles sont multiples et variées. Certains cadres vont devenir « accros » du travail, augmentant ainsi la fatigue, et les risques d’erreur. D’autres vont au contraire en faire un minimum, développant une inertie qui va se répercuter sur la motivation de leur(s) équipe(s). Certaines personnes vont bloquer l’information générant ainsi des conflits interpersonnels voire un accroissement du turnover de leurs collaborateurs. A l’extrême, certains responsables peuvent exercer le harcèlement moral ou psychologique qui, en fait, reflète leur propre mal-être.

Dans tous les cas, ces malaises réduisent la capacité d’adaptation du cadre aux situations nouvelles, ainsi qu’aux nouvelles technologies. Les conséquences de ceci seront autant individuelles que professionnelles.

Nous vous encourageons à lire l’article « Favoriser l’équilibre du cadre face aux conséquences de la mondialisation », qui propose quelques pistes pour contrer cette tendance à la fragilisation du management.

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